Les avocats de Samsung et ceux d’Apple tentent actuellement de faire pencher la balance des arguments (et de la justice) de leur côté; et les juges de la Cour Suprême américaine de revisiter une problématique aussi vieille que la création des marques elle-même. Rappelons les faits : en 2012, Samsung est condamné pour copie de brevets de l’iPhone à payer 1 milliard de dollars à Apple. 4 ans plus tard, il ne reste plus qu’un peu plus de 400 millions à payer, mais Samsung continue de trouver que la somme est trop importante et estime que le jury aurait du établir des dommages et intérêts calculés sur la base des seuls brevets, et pas sur le prix total d’un iPhone.

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De son côté, Apple argue que la copie de brevets de Design s’apparente à de la contrefaçon puisqu’il s’agit de copier l’aspect extérieur et immédiatement reconnaissable d’une marque, et que la décision d’achat repose souvent sur le lien entre le client et cette marque (en d’autres termes, l’acheteur d’une Ferrari n’achèterait pas de véhicule au cheval cabré si le véhicule en question n’avait pas la forme de carrosserie typique d’une Ferrari; le design est ici plus important que les composants techniques).

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L’un des trois brevets de design enfreint par Samsung avec son Galaxy S1

Samsung en appelle donc à la Cour Suprême pour trancher l’affaire, appuyé par les entreprises de la Silicon Valley (Google, Microsoft, HP, etc…) tandis qu’Apple reçoit le soutien d’une centaine de designers, stylistes, créateurs. Les débats ont commencé le 12 octobre face aux juges de SCOTUS, et sans surprise, on retrouve toute l’argumentation juridique qui fait aussi un distinguo très clair entre le système de brevet américain et européen.  Kathleen Sullivan, avocate de Samsung, déclare ainsi que si un « article de fabrication » est seulement une partie d’un téléphone, vous devriez dissocier les choses, votre honneur. Si, comme cela arrive parfois dans une entreprise, une division fabrique le verre de la face avant et une autre division est responsable de l’intérieur du téléphone, vous conviendrez que le montant doit être partagé entre les divisions. » Dit autrement, pour Samsung, le montant des dommages et intérêt aurait du être calculé sur la valeur propre du brevet de design, sans considération du fait que c’est bien parce que les Galaxy S1 et S2 ressemblaient beaucoup à l’iPhone (surtout le S1), et donc reprenaient les éléments de design copiés de l’iPhone, que les clients de Samsung pouvaient avoir l’impression d’acheter un simili-iPhone pour beaucoup moins cher (ce qui est la logique même de la contrefaçon, qui ne se règle pas seulement par des dommages et intérêts en Europe mais par la mise au pilon des éléments contrefaits).

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Cet argument n’a semble t-il pas convaincu le juge Anthony Kennedy (de la Cour Suprême), qui a pris l’exemple de la Coccinelle de Volkswagen (ou « Beetle ») afin de démontrer le côté absurde consistant à faire comme si le design emblématique du produit d’une marque pouvait être mis sur le même plan qu’un des centaines (voire milliers) de brevets techniques qui encadrent un appareil électronique. Malheureusement pour Apple, d’autres juges semblent déjà clairement pencher du côté de Samsung. Ainsi, le juge John Roberts rappelle que le design extérieur ne représente qu’une partie de l’iPhone : « Peut-être que je ne saisis pas bien la complexité de cette affaire, mais il me semble que le design s’applique à l’aspect extérieur du mobile. Il ne s’applique pas à tous les composants ou puces. » Idem, et en des termes très proches, pour le juge Stephen Breyer.

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Vue de l’Europe, cette joute a de quoi faire lever les yeux au ciel, et il ne faut pas s’étonner que nombre de designers européens se soient rangés du côté d’Apple. La copie de design afin de tromper le consommateur ou de le pousser à acheter un produit qui ressemble à celui d’une autre marque (mais pour moins cher) est assimilable à de la contrefaçon, et nombre d’experts juridiques européens estimaient à la fin du procès de 2012 que Samsung s’en sortait déjà bien en évitant une interdiction totale de vente. Aux Etats-Unis, on se bat donc pour savoir si le fait de copier le design emblématique d’une marque est finalement à ranger sur le même plan que la copie de brevet d’une technologie de transcodage vidéo; autre pays, autres moeurs…