C’est un fait, le marché du jeu vidéo sur mobiles, tablettes et navigateurs internet est inondé jour après jour par les sorties. Des jeux de qualité, d’autres parfois moins bons, il reste quoi qu’il en soit très difficile de percer dans ce monde. Notamment quand certains grands noms ou licences semblent déjà confortablement installés: Rovio et ses oiseaux coléreux, Supercell et ses clans belliqueux, King et ses sucreries, ou encore EA, qui avec FIFA et Star Wars tient deux des licences les plus juteuses du jeu vidéo. Et malgré ce marché constamment en évolution et ces géants qui le dominent, InnoGames, une société allemande, a réussi à se faire sa place, et fait aujourd’hui partie des plus grands. Connu pour Tribal Wars, Grepolis, ou plus récemment Forge of Empires et Elvenar, le studio fêtait il y a peu ses dix ans, et a pour l’occasion permis à votre serviteur d’aller à la rencontre de certaines personnes qui ont contribué à son succès.


Trônant à quelques minutes du centre ville d’Hamburg, l’immeuble de 7 étages ne laisse pas de place au doute: l’entreprise fonctionne grâce à la passion du jeu vidéo, et cette passion s’est avérée plutôt payante. Cuisines à chaque étage, salle de sport, salles de réunion à thème basées sur les différents jeux qui ont pu inspirer les employés comme les employeurs, le studio vient bel et bien du monde vidéoludique, mais n’oublie pas qu’il s’agit d’une industrie. Et le dur labeur a porté ses fruits: plus de 130 millions d’euros de revenus en 2016, soit un bond de 25% par rapport à l’année précédente, 68% de croissance sur le marché mobile pour ces mêmes années, l’entreprise revendique 150 millions d’utilisateurs enregistrés, avec dans son catalogue uniquement des jeux au format free-to-play.

La première victime de mes compétences d’intervieweur était donc Christian Pern, Chief Marketing Officer (Directeur du marketing) de la société, qui a su apporter un point de vue intéressant à travers ses réponses.

Comment un studio basé sur le freemium peut-il s’assurer autant de profit ?

Ce sont les deux faces d’une même médaille: chaque société de jeux vidéo est avant tout un business, et doit assurer des revenus pour payer les salaires, la location, etc… Le modèle du free-to-play offre l’opportunité de commencer à jouer gratuitement, et de pouvoir payer ensuite si l’on est satisfait de la qualité du jeu. Le prix d’entrée est dérisoire comparé à celui d’un jeu au format disque par exemple, et c’est aussi différent pour nous. Ils y jouent, ils aiment l’expérience, ils paient des microtransactions. L’enjeu, c’est surtout de convaincre l’utilisateur que le titre est d’une qualité suffisante.

 

Est-ce que la transparence des pratiques économiques est une bonne chose pour le consommateur ?

Bien entendu nous ne voudrions pas que nos compétiteurs bénéficient des leçons que nous avons apprises. Néanmoins, il est important pour les joueurs de savoir quelle direction prend le jeu auquel ils jouent. Vraiment, c’est toujours une question de divertissement. Les gens ont toujours aimé le divertissement, et sont prêts à payer pour y accéder. La question, c’est surtout de savoir quelle valeur on lui donne. Ce qu’on offre et le prix de cette offre, oui, je pense que ça devrait toujours être transparent pour les joueurs.

 

Est-ce difficile de faire le marketing pour un jeu free-to-play ?

Le marché du jeu vidéo est déjà bien peuplé, surtout sur mobiles. C’est une industrie qui attire beaucoup de sociétés. Donc il faut surtout se demander comment se démarquer des autres. L’approche marketing ne consiste plus seulement à acheter de l’espace publicitaire, il faut cibler davantage les groupes visés tout en restant rentable. Il y a de plus une grande différence entre les méthodes utilisées pour nos jeux mobiles et nos jeux sur navigateur. Tout le groupe cible change. L’industrie elle-même a beaucoup changé. Avant, quelqu’un qui jouait aux jeux vidéo sur ordinateur était déjà un passionné de jeux. Aujourd’hui, énormément de gens ont accès à des smartphones qui leur permettent de jouer. Le groupe cible est donc bien plus grand. ce qui est génial pour le marketing. Par exemple, un seul spot publicitaire TV peut promouvoir toutes nos plateformes. Pour ce qui est du marché mobile, on a beaucoup de données et c’est le marché qui croît le plus rapidement. C’est cette direction que nous voulons prendre.

Quel était le plus gros échec d’InnoGames ?

Je n’ai pas d’idée d’un échec particulièrement cuisant, mais la plupart des erreurs que l’on fait sont constructives et viennent du fait que nous testons beaucoup de choses, et donc nous arrivons à éviter des échecs à grande échelle. On veut faire ces petites erreurs au fur et à mesure, pour apprendre, et parce que parfois des choses qui n’étaient pas supposées fonctionner finissent par bien marcher. On est toujours ouverts aux nouvelles idées quand il s’agit de faire des tests.

 

Quel a été le plus gros succès d’InnoGames ?

Vraiment, Forge of Empires est là haut quand on parle de succès. La réussite de la société, c’est surtout d’avoir réussi à gravir les échelons grâce à des jeux qui ont contribué au fil du temps à notre succès, Tribal Wars, Grepolis, Forge of Empires par exemple. Forge of Empires a d’ailleurs été un très grand succès, si je devais choisir dans l’absolu, ce serait la réponse que je donnerais. Mais rétrospectivement, c’est Tribal Wars, parce que sans ça, nous n’en serions pas là aujourd’hui.

 

Peut-on faire le marketing du gameplay et des microtransactions tôt dans le développement d’un projet ?

C’est mon travail de m’assurer que chaque nouvelle idée offre assez de potentiel pour permettre au public-cible d’atteindre le CPI (ndlr: cost per install) voulu. Il faut aussi évaluer la durée de vie du jeu, et estimer si les boucles de gameplay principales permettront au jeu d’être rentable par rapport aux ressources que nous investirons dedans.

Le feedback est-il aussi important après la sortie d’un jeu qu’avant ?

Avec l’approche que nous avons, il est sûrement bien plus important après, on prend vraiment des directions bien définies avec nos jeux. Ce sont les joueurs qui nous disent ce qui marche et ce qui ne marche pas. Forge of Empires est là depuis 2012, et nous avons ajouté énormément de contenu avec le temps, et on veut savoir quel genre de contenu ajouter par la suite. Trouver ce qui va et ce qui ne va pas, c’est le plus important avec nos jeux.

 

N’avez-vous pas peur d’une mauvaise image des microtransactions ?

Il y a certaines tendances sur le marché, et nous avons choisi de vraiment récompenser ceux qui décident de dépenser de l’argent. Le paywall, c’est différent, et nous n’en ferons certainement pas. Ces procédés doivent toujours être transparents et justes pour l’utilisateur. Commencer à jouer gratuitement pour ensuite pouvoir contribuer au fur et à mesure des années, ça me semble juste, puisqu’à tout moment on peut décider de ne pas payer, ou au contraire de soutenir la société qui fournit un divertissement qu’on estime de qualité. On a toujours le choix, le jeu est parfaitement jouable sans avoir à payer un sou.

La deuxième à subir mes questions n’était autre qu’Ulrike Kunkel, Project Head (cheffe de projet) pour Elvenar, jeu sur navigateur avec un port sur mobile prévu pour la fin de l’année.

Quels sont les principaux défis quand il s’agit de porter un jeu du navigateur au mobile ?

Les changements à faire sont plutôt profonds, surtout en ce qui concerne l’économie, il faut afficher beaucoup d’informations. La version navigateur se base sur les infobulles, ce qui n’est pas possible sur mobile, il a donc fallu refaire toute l’interface. Le feedback est aussi différent, par exemple un bâtiment qui n’est pas connecté à une route apparaît grisé. Plus de feedback visuel, c’est une compréhension facilitée pour le joueur. L’utilisation d’Unity dans le port nous permet aussi de faire des animations et une expérience beaucoup plus vivante, comparée à la version navigateur assez statique, basée sur Flash. On a aussi fait face à des défis techniques, par exemple, on a plus de 1000 bâtiments, ce qui pose un problème de mémoire. On a fait des tests pour savoir sur quels appareils pouvaient supporter les animations, et quels appareils devraient les avoir désactivées.

Quand est-ce que les microtransactions apparaissent dans le projet ?

Je suis convaincue que la partie économique doit être réfléchie et intégrée dans les mécaniques de jeu dès le début du développement. Les game designers et les managers doivent travailler main dans la main. Y penser plus tard dans le projet, ça ne marche pas. On a vraiment besoin de savoir comment le jeu sera, comment on imagine l’équilibrage, et quels seront les besoins de base dans le jeu. Il nous arrive parfois d’ajouter des éléments plus tard, pour fermer des boucles de gameplay ou en lancer des nouvelles, en sachant quel nouveau contenu pourrait être nécessaire, s’il serait « vendable », comment on pourrait le vendre, et tout ça de façon à ce que le joueur en tire la meilleure expérience possible.

Qu’est-ce qui fait que vos jeux marchent si bien compte tenu du marché déjà saturé en offres ?

Au final, c’est surtout la combinaison de différents éléments qui permet au joueur d’avoir droit à une bonne expérience, ce qui n’est pas facile à faire. Il faut de très bonnes équipe avec de l’expérience. Chez InnoGames, on essaie beaucoup de choses, on peaufine les jeux, et on partage tout le savoir-faire en interne. On essaie de réunir tous les ingrédients, et c’est difficile, ça dépend du genre, du style de jeu, de l’ambiance… Dans Elvenar, on a juste plein de bonnes choses qui se complètent. On a des graphismes vraiment jolis, une bonne progression, les joueurs peuvent s’amuser. On a même pas mal de joueurs qui y jouent sur plusieurs comptes. Ecouter ses joueurs et les retours, améliorer le jeu étape par étape. Impliquer la communauté, c’est quelque chose qu’InnoGames a toujours très bien fait.

Une approche basée sur la bonne expérience du joueur, et des jeux faits par des passionnés qui savent ce qu’ils font semblent avoir été les deux éléments principaux du succès d’InnoGames. Et avec un port d’Elvenar prévu pour la fin de l’année, encore deux ans de support et de nouveau contenu et de support pour Forge of Empires, plusieurs projets en cours de développement, et de nombreuses embauches prévues, la success story ne sera clairement pas finie demain.