Les excuses de Tim Cook n’y feront rien; le BatteryGate, qui concerne cette fois une modification de l’OS mobile et non pas un soucis matériel a pris une ampleur médiatique considérable, sans même parler de la quinzaine de plaintes, de class-action ou d’enquêtes lancées dans plusieurs pays. En terme de communication, c’est déjà une catastrophe pour Apple, car le silence est forcément coupable : le silence d’Apple concernant le bridage volontaire des iPhone lorsque la batterie de ces derniers passe le cap des 500 cycles, le silence d’Apple encore, pendant plusieurs jours, alors que la tempête médiatique faisait rage. Dans tous les cas de figure, et quoi qu’il advienne dorénavant des procès qui se préparent, Apple sortira largement perdant de cette séquence désastreuse.

Pour autant, et malgré la faute incontestable d’Apple, les accusations d’obsolescence programmée ne tombent pas vraiment sous le sens; en France, c’est l’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) qui a lancé les hostilités avec une plainte en bonne et due forme; l’accusation est grave, et Apple apparait comme le coupable idéal, sans même que sa parole ne soit prise en compte. Interrogé dans les colonnes de l’Express il y a quelque jours, le président de l’association déclarait d’ailleurs ne pas croire aux explications fournies par Apple…alors même que de nombreux retours d’utilisateurs (dont celui de votre serviteur) confirment bel et bien que le changement de batterie permet effectivement aux iPhone de revenir « à la normale ».

Ce qui gêne aux entournures ici n’est pas tant l’accusation elle-même que la désagréable impression que HOP tente de « se payer Apple » sans trop vérifier ses arguments; les déclarations de HOP sont en effet parfois (souvent?) totalement fantaisistes : Apple est ainsi accusé de souder les batteries de l’iPhone (c’est faux), de proposer de nouveaux modèles d’iPhone tous les 6 mois pour pousser à l’achat (c’est encore faux, Apple propose une gamme renouvelée annuellement, comme tous les constructeurs), de rendre le changement de batterie impossible (il est surtout facturé assez cher, mais l’opération est extrêmement rapide chez un réparateur mobile), ou bien encore de jouer essentiellement sur les changements de design de ses produits pour inciter à l’achat (sous entendu, « c’est donc de l’esbroufe« , alors même qu’Apple était justement critiqué ces dernières années pour ne pas assez modifier le design de ses iPhone, cherchez l’erreur…). Toutes ces imprécisions, pour ne pas dire plus, sont d’autant plus désagréables à lire que HOP sait très bien que la plupart des lecteurs n’iront pas vérifier les petits détails. A grossir le trait de façon aussi légère, HOP prend aussi le gros risque de rendre la tâche des avocats d’Apple nettement plus facile; passons…

Pour autant, et comme le soulignait fort justement hier le communiqué de la KCC, l’autorité sud-coréenne à la concurrence, Apple n’a pas averti les utilisateurs d’iPhone que les performances de leur précieux seraient fortement bridées dans certains cas précis; il est donc urgent de déterminer si cette absence de communication résulte d’un sombre calcul visant in fine à favoriser l’achat d’un nouvel iPhone. En d’autres termes  : est-ce que l’utilisateur d’iPhone 6 confronté à des ralentissements fréquents, et sans savoir qu’il suffisait de changer la batterie pour retrouver des performances inchangées, sera forcément tenté d’acheter un nouvel iPhone ? Cette hypothèse est certes une possibilité, mais ne nous semble pas vraiment la plus probable; à décevoir des utilisateurs qui utilisent des iPhone fortement ralentis, Apple prend  surtout le risque que ces derniers aillent voir chez la concurrence si le benchmark y est meilleur. Surtout, les iPhone sont particulièrement scrutés à la loupe, et il était certain que les baisses de performances depuis la version 10.2.1 se remarqueraient un moment ou un autre. Une équation à beaucoup d’inconnues tout de même pour un simple patch visant à arrêter les extinctions inopinées de certains iPhone.

Le silence d’Apple cache pourtant bien quelque chose, et ce qui est enfoui est sans doute bien plus inquiétant encore qu’une (fausse) obsolescence programmée. Les explications/excuses de Tim Cook confirment d’ailleurs le malaise; car le patron d’Apple a beau rappeler en détail les raisons pour lesquelles ce patch logiciel a été rajouté à iOS 10 puis iOS 11, on ne peut que tiquer; tout part en effet des extinctions inopinées d’iPhone affichant encore 20 à 40% d’autonomie de batterie. Pour Tim Cook, ces arrêt intempestifs sont « logiques » du point de vu technique : les vieilles batteries (souvent largement au delà des 900 cycles) ne peuvent plus supporter la charge du fonctionnement de l’OS et de certains composants; logique certes, sur un plan technique donc … mais pas vraiment normal; depuis quand les vieux iPhone/iPad/iPod touch tombent t-ils brutalement en rade lorsque la batterie se fait trop vieille ? Car J’ai le souvenir d’un des premiers iPod touch laissé au fond d’un tiroir après des années de bons et loyaux services, et qui s’est rallumé comme au premier jour; pas d’extinctions inopinées, pas de déphasage entre l’affichage en pourcentage et le moment précis où l’appareil se retrouvera effectivement hors-jus.

Alors répétons la question : depuis quand les vieux iPhone/iPad/iPod touch tombent t-ils brutalement en rade lorsque la batterie se fait trop vieille ? Depuis iOS 9 à vrai dire, avec un gros pic à partir d’iOS 10. Et cela ne montre qu’une seule chose : Apple ne sait plus optimiser les performances de ces OS sur les iPhone de deux ou trois ans d’âge, parce que tout simplement, Apple ne peut pas être plus fort que les lois et les contraintes physiques qu’il a lui même placé sur son chemin. Alors même qu’iOS devenait plus gourmand en ressources, que les processeurs Ax devenaient extrêmement  rapides, Apple a continué à proposer à la vente des iPhone avec des batteries bien plus petites que celles de la concurrence et dotés de faibles capacités en RAM (mémoire vive), un « combo » qui a littéralement « épuisé » les batteries des « vieux » iPhone lorsque ces derniers fonctionnaient sous un OS calibré avant tout pour des iPhone largement mieux dotés. Pour le dire de façon plus cruelle encore, les iPhone SE/6/6S et même certains iPhone 7 sont en fait devenus techniquement sous-dimensionnés avec les nouvelles versions d’iOS.

Longtemps cependant, cette course à l’optimisation a largement joué en faveur d’Apple, qui pouvait à la fois « frimer » avec ses talents d' »optimiseur logiciel » et faire de grosses économies sur l’achat de composants. Mais ce temps a vécu, il vient de prendre fin à vrai dire; et c’est bien pour cela que le californien n’a pas eu d’autres choix que de baisser drastiquement les performances de certains iPhone pour que la batterie ne rende pas grâce dans la minute. Cette fois, il n’était plus possible d’optimiser le logiciel pour maintenir un fonctionnement réellement normal de l’appareil, c’est à dire qui préserve A LA FOIS la batterie et les performances brutes de l’appareil.

Une faible quantité en RAM oblige en effet à des allers retours RAM/disque SSD beaucoup plus fréquents (swap), ce qui pèse d’autant plus sur une batterie de « petite » capacité. Et un OS devenu lourd, trop lourd, connait un effet de goulet d’étranglement encore accentué avec une RAM trop faible, ce qui conduit d’abord à des ralentissements à l’usage puis à un vieillissement prématuré des batteries. Qu’Apple soit devenu au plan logiciel comme le Microsoft des années 90 ne serait pas si gênant si l’utilisateur avait au moins la possibilité de revenir en arrière, dès lors qu’il constate que l’OS est devenu trop lourd à gérer pour sa machine. Mais Apple ne signe plus la version d’OS précédent la dernière en date : l’utilisateur est totalement piégé. Voilà sans doute ce qui explique le silence d’Apple, bien plus qu’une volonté machiavélique de pousser à l’achat de nouveaux iPhone par des mesures dilatoires : Apple ne veut pas qu’on sache qu’il est devenu faible là où auparavant il était le plus fort : l’optimisation entre le logiciel et le matériel. A force de tirer sur la corde, souvent au nom de la finesse et de quelques piécettes gagnées en composants sur chaque iPhone, Cupertino a fini par perdre ce qui faisait sa force propre…et une partie de la confiance des utilisateurs.