Le 19 février 1981, c’est un coup de tonnerre qui s’abat sur Cupertino; Jef Raskin, initiateur du projet Macintosh chez Apple, envoie un mémo vengeur au CEO Mike Scott. Ce mémo est une longue complainte des difficultés que Raskin rencontre avec Steve Jobs, débarqué du Lisa pour s’ « occuper » avec le projet Mac. Depuis quelques mois, le ton est monté entre Raskin et Jobs : le premier imagine un Mac peu cher (à 500 dollars), avec des composants bon marchés et orienté pour la « bidouille » tandis que le second qui a eu la « révélation » au Parc Xerox, veut une machine extrêmement simple à utiliser, avec des composants plus puissants permettant de supporter une interface entièrement graphique; et contrairement à l’ordinateur low-cost imaginé par Raskin, Steve Jobs envisage déjà un Mac facturé au delà des 2000 dollars.

Sur cette photo prise en 1978,  Steve Jobs (à l’arrière à gauche de l’image) est encore dans l’ombre de Raskin (le barbu au premier plan); le co-fondateur d’Apple finira par imposer sa propre vision du Macintosh face à un Jef Raskin ulcéré par ses prises de décision

Au delà des divergences sur le contenu du projet lui-même, Jef Raskin ne supporte pas la personnalité de Jobs, qu’il juge incompétent et surtout incontrôlable. Sûr de son bon droit, il envoie donc un mémo au CEO d’Apple de l’époque (Mike Scott), un mémo où il note sans aucune complaisance les nombreux défauts du co-fondateur d’Apple; et la liste est longue :

– Steve Jobs louperait de nombreuses réunions de travail

– Il agirait sans réfléchir et avec une mauvaise appréciation de la situation

– Il ne créditerait pas les développeurs de leur part de travail

– Il ferait des attaques ad hominem

– Il prendrait des décisions absurdes et vides de sens à cause de son paternalisme 

– Il interromprait les conversations et n’écouterait pas 

– Il ne tiendrait pas ses promesses

– Il prendrait des décisions sortant de nulle part

– Ses estimations seraient trop optimistes

– Jobs aurait un comportement irresponsable et inconsidéré 

– Il serait un mauvais directeur de projet logiciel

Le noyau dur de l’équipe du Mac, qui a suivi la « vision » de Jobs : George Crow (développeur, carte logique), Johanna Hoffman (marketing), Burrell Smith (développeur-carte logique), Andy Hertzfeld (système logiciel), Jerry Manock (Design industriel).

Si certaines critiques virulentes de Raskin touchent juste (et surtout ont été confirmées par des membres de l’équipe du Mac), d’autres semblent surtout marquer une différence d’approche dans la gestion des projets. Ainsi Steve Jobs demande à ses équipes d’ingénieurs de faire ce qui n’a pas encore été fait (et qui semble donc impossible à réaliser à l’instant T) tandis que Raskin conçoit son Mac en fonction de ce qu’il est déjà possible de faire techniquement parlant.

Surtout, l’avenir du projet Mac donnera largement raison à Steve Jobs. Raskin finira par quitter Apple en 1982, suite à une énième dispute avec Jobs, et au final, le co-fondateur d’Apple se révèlera être un excellent directeur de projet, totalement atypique certes, mais parvenant largement à accoucher de sa vision ambitieuse : la présentation du Macintosh le janvier 1984 reste un moment d’histoire de l’informatique. Le Mac est alors le premier ordinateur réellement commercial et orienté grand public à être doté d’une interface graphique que l’on peut piloter avec une souris. L’univers de l’informatique personnelle en sera changé à tout jamais…