S’il y a une personne qui doit savoir mieux que quiconque comment pouvait être Steve Jobs au quotidien, c’est bien sa femme, Lauren Powell Jobs. Et si l’on en croit le Wall Street Journal, la veuve du co-fondateur d’Apple n’aurait pas vraiment goûté au projet de film sur son défunt mari, au point de tenter de saborder la production du métrage à plusieurs reprises. Le producteur du film, Scott Rudin semble parfaitement au courant des pressions de Lauren Jobs :  » Ms. Jobs ne cesse d’affirmer qu’elle déteste le livre, et qu’il est impossible qu’un film basé sur ce livre soit fidèle » déclare t-il. Une autre connaissance et ancien ami de Steve Jobs, Bill Campbell, membre du Conseil d’Administration d’Apple, se montre tout aussi cassant vis à vis d’un film qu’il n’a pourtant pas encore vu : « Toute une génération aura une image de lui très différente s’ils voient un film qui le dépeint d’une manière négative ». Certes.

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Steve Jobs à côté de sa femme, Lauren Powell Jobs

Si les pressions de la femme de Jobs seront perçues au mieux comme un geste maladroit et au pire, comme une tentative de censure intolérable, il ne faut tout de même pas oublier que la disparition de Steve Jobs ne date que de 4 ans et que de nombreuses personnes l’ayant connu de son vivant sont encore là pour en parler. Et il est notable de constater que mis à part quelques collaborateurs ayant forcément des griefs parce qu’ils se sont retrouvés dans le viseur du co-fondateur (l’un d’entre aux s’exprime d’ailleurs dans The Man in The Machine), ou un Wozniak qui ne semble pas avoir digéré le fait que Jobs l’ait spolié de quelques centaines de dollars pour son travail sur Breakout, la plupart de ceux qui l’ont connu n’ont de cesse de rappeler à quel point l’image noircie à gros traits que l’on trouve dans la Biographie d’Isaacsson et dans la plupart des films déjà réalisés sur Jobs (Les pirates de Silicon Valley, The Man in the Machine et bien sûr le Steve Jobs de Boyle et Sorkin) s’écarte tout de même notablement de la personnalité réelle forcément plus complexe du véritable Steve Jobs, qui ne se limite sans doute pas à n’être qu’un « tyran profitant du génie des autres« .

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Steve Jobs en mode « Dark » pour The Man in The Machine; vendeur certes, mais est-ce bien la réalité ?

Lorsque les biographies concernent des individus morts il y a longtemps, il n’y a plus de témoins de l’époque, et donc plus personne pour en corriger les erreurs, les approximations et les amalgames. Mais dans le cas de Jobs, il s’agit d’une personnalité forte et surtout récente que les médias et la sphère culturelle ont décidé de décrire sous l’angle d’un « drama » très tranché et souvent sans nuances. C’est d’ailleurs aussi le lot de la quasi totalité des biopics tournés au Etats-Unis, qui virent soit à l’hagiographie la plus sirupeuse (Ray, Une brève histoire du temps) soit à la critique incendiaire (Aviator et sans doute… Steve Jobs). Si rien ne peut légitimer qu’on veuille faire interdire une oeuvre d’art quelle qu’elle soit, tout au moins peut-on comprendre aisément que ceux qui connaissent le nuancier et les zones grises du caractère d’un individu ne sautent pas vraiment de joie quand on leur présente un tableau entièrement noir, d’autant plus que c’est ce tableau sans nuances qui a de bonnes chances de rester dans l’imaginaire collectif …