Longtemps, Apple a été cette entreprise capable de mixer brillamment certains composants (pas forcément les meilleurs composants) avec des interfaces graphiques avancées (mais pas forcément les plus innovantes, le premier macOS était largement inspiré de l’interface du Star de Xerox); en d’autres termes, Apple était moins celui qui créait les technologies que celui qui savait les agencer de façon à faciliter l’ « expérience utilisateur ». Mais depuis l’arrivée de l’iPhone, premier smartphone à interface multi-touch, Apple accroit considérablement sa mainmise sur la partie hardware d’une façon qui excède de loin les « customisations » de circonstance. Après le rachat de PA-Semi en 2003, il devenait clair que la firme de Cupertino n’allait pas s’en tenir à l’architecture ARM « standard » et que quelque chose de plus gros se tramait en coulisses.

PA-Semi en poche, Apple s’adjoignait les services d’une équipe d’ingénieurs de tout premier plan menée par Daniel W. Dobberpuhl, une légende du secteur; les processeurs RISC conçus par PA-Semi, à la fois compacts, très puissants et peu « énergivores », semblaient déjà être de bons « clients » pour servir de base à une nouvelle architecture de processeurs mobiles. Le rachat en 2010 d’Intrinsity confirmait cet intérêt d’Apple pour le processeur; il se murmure d’ailleurs que le A4 de l’iPad fut customisé en grande partie par des équipes d’Intrinsity. Depuis ces premiers pas dans la conception des SoC mobiles, la famille de processeurs Ax a fait du chemin, et surtout est maintenant designée de A à Z par les équipes d’Apple. Et les résultats sont plus que probants : depuis 2 ans, les processeurs Ax de Cupertino enfoncent la concurrence Snapdragon, Exynos ou Kirin, qui en terme de performances ont désormais quasiment une génération de retard. Alors que le A11 pointe le bout de ses transistors, le A10X Fusion des nouveaux iPad Pro établit déjà des records de rapidité de calcul et vient même titiller les perfs des MacBook Pro de 2016 !

Les développements impressionnants du Ax ne sont pourtant que le premier étage d’une fusée technologique; en  2013, Apple intègre son propre processeur « de mouvement » dans l’iPhone 5S, le M7; cette puce traite en fait les « informations » récupérées par les différents capteurs de l’iPhone (accéléromètre, gyroscope, etc…), facilitant ainsi la mise au point d’applications de santé dédiées (ou de fitness…); ses successeurs, M8, M9 et M10 se retrouveront dans tous les appareils nomades d’Apple, y compris bien sûr l’Apple Watch. Mais les nouveaux rivages de la réalité augmentée poussent Apple à regarder encore plus loin; la firme Imagination, pourvoyeuse des excellents GPU mobiles (Power) de l’iPhone, annonçait il y a quelques semaines qu’Apple allait bientôt se passer de ses services et lancer sa propre carte graphique mobile. L’atterrissage du premier GPU « made by Apple » devrait intervenir dès 2018, et au vu de ce qu’Apple parvient déjà à faire avec la gamme AX, les Adreno du monde Android ont du souci à se faire…

Les APIs Metal seront forcément optimisées aux futurs GPU mobiles d’Apple; ça va dépoter…

De fait, Apple semble vouloir disposer de l’intégralité des technologies processeur à l’oeuvre dans ses iPhone/iPad/Apple Watch/Mac? . Ainsi, la bataille juridique qu’Apple mène face à Qualcomm a sans doute comme objectif premier de faire baisser les coûts des licences des brevets de Qualcomm (sur les puces réseau) afin de mettre en route la fabrication de puces modem/réseau; ce sont déjà ces mêmes coûts de licence qui avaient poussé Samsung à abandonner toute velléité de concevoir sa propre puce modem : les tarifs élevés de licence auraient empêché le géant mobile d’atteindre le point de rentabilité. Apple quant à lui semble nettement plus déterminé à aller jusqu’au bout, et ce n’est sans doute pas seulement pour économiser quelques centaines de millions de dollars.

Siri : une IA mobile dont le futur « cerveau » pourrait bien être localisé dans l’iPhone et non dans les serveurs d’Apple

Une question se pose alors : pourquoi Apple veut-il tenir dans ses seules mains l’ensemble de la « chaine processeurs » de ses futurs iPhone ? La réponse est sans doute à aller chercher du côté des fonctions de réalité augmentée (qui devraient largement intégrer l’iPhone 8/X grâce à ARkit,) et aussi du côté de l’intelligence artificielle. Apple souhaite en effet améliorer Siri drastiquement (il y a urgence face aux progrès rapides d’Alexa et de Google Assistant), mais ne veut pas que cette évolution se fasse au détriment de la confidentialité des données de ses utilisateurs; conséquence de ces choix, une partie de plus en plus importante des traitements « IA et reconnaissance vocale » va devoir être effectuée en local, afin d’éviter les aller-retours avec les serveurs Apple; et bien sûr ces traitements demandent de la puissance, beaucoup de puissance. Apple développerait donc en interne une puce dédiée à l’iA baptisée Neural Engine, et l’on peut supposer sans coup férir que ce nouveau processeur (qui intégrera peut-être le SoC du Ax) se montrera plutôt véloce…

La réalité augmentée, nouveau cheval de bataille d’Apple, est au coeur d’iOS 11; et il faudra des processeurs mobiles puissants 

En maitrisant la conception de ses processeurs – de tous les processeurs à terme – Apple se donne en fait les moyens de ses ambitions, des ambitions qui démontrent que la firme californienne ne se repose pas sur ses acquis et vise les grandes technologies de demain, qui seront largement sous influence de la réalité augmentée et des IA supra-intelligentes. Surtout, Apple est devenu de facto le nouveau seigneur du processeur mobile, car aucun autre concurrent ne peut se targuer d’avoir une approche « processeur » aussi globale, même pas Samsung… »Tous ceux qui prennent le logiciel vraiment au sérieux devraient fabriquer leur propre matériel » disait le grand Alan Key, une maxime souvent reprise par Steve Jobs, (et faussement attribuée à lui du reste); l’Apple de 2017 suit plus que jamais le fil de ce mantra…