La critique d’une série comme Foundation oblige forcément à poser un peu de contexte. Avant d’être la tête de proue du service Apple TV+, Fondation est l’oeuvre protéiforme de l’écrivain américain de S.F Isaac Asimov. D’ailleurs parle t-on du Cycle de Fondation – qui regroupe Prélude à Fondation, L’Aube de Fondation, Fondation, Fondation et Empire, Seconde Fondation, Fondation foudroyée, Terre et Fondation – un cycle dont les dates de parution s’étendent de 1943… à 1993, sachant que les dates de parution ne correspondent pas forcément aux dates chronologiques de l’oeuvre. Outre cet aspect matériellement « massif », Fondation vaut sa réputation d’oeuvre « inadaptable » pour son histoire, qui s’étend sur pas moins de 5 siècles. Ces 500 ans ne sont pourtant que la moitié des 1000 ans du « Plan Seldon », soit un ensemble de prévisions temporelles établies à partir de l’an 12 065 de l’Ère Galactique par le mathématicien Hari Seldon. Ce plan vise à préparer la venue d’un second Empire Galactique, bien plus stable que le premier (celui qui est l’objet de la série).

Fondation Jared Harris

Hari Seldon (Jared Harris) : une prévision qui trouve son dénouement tragique sur 1000 ans 

Une histoire sur plusieurs siècles, un futur hyper lointain aux références multiples à notre époque et aux différences encore plus marquées, on comprend que Fondation, la série cette fois, ait eu le besoin de trancher dans le vif du sujet et de son récit. On ne reprendra pas ici le débat sur la nécessité de rester fidèle à l’oeuvre. Dans le cas de Fondation, l’extrême complexité de la tâche oblige à prendre du recul et à comprendre pourquoi David Goyer a réalisé certains choix radicaux par rapport à l’oeuvre originale. La seule question qui prévaut est au final celle-ci : ces choix sont-ils les bons ? S’il s’agit de décrire l’énormité d’un empire (composé d’un milliard de milliard d’individus), la solitude du pouvoir et la puissance évocatrice de cet univers créé de toute pièce pour le format série, le contrat est rempli haut la main : les décors somptueux, les effets spéciaux impeccables et le choix de cadres magnifiant ces gigantisme spatial et technologique plongent sans effort le spectateur dans ce futur très très lointain.

Fondation

Gaal Dornick (Lou Llobell), étonnante et vibrante dans son rôle d’apprentie mathématicienne 

Le scénario est une sorte de triptyque dont chaque élément est l’un des personnages principaux : les relations entre Hari Seldon, l’empereur Frère de jour (Frère tout court dans l’oeuvre d’Asimov), la jeune apprentie mathématicienne Gaal Dornick (qui est incarnée par un homme dans le livre) irriguent littéralement les deux premiers épisodes de la série, et rarement aura t-on vu un scénario autant « porté » par ses personnages. La qualité de jeu de Lee Pace (incroyable Frère de Jour), de Jared Harris (un Hari Seldon plein de charme et de distance) et de Lou Llobell (qui joue une Gaal Dornick intense) font le reste, et qu’importe que la série avance au pas de charge en risquant à la fois le trop plein et le manque d’informations. La mise en scène est à pas lents, mais à pas lents réguliers et fermes : si certaines critiques décrivent une série comme stérilisée et manquant de vie (les mêmes reproches qu’au Dune de Villeneuve du reste), les amateurs de tensions psychologiques, d’atmosphères qui infusent, de diplomatie de l’ombre et de secrets d’alcoves devraient y trouver largement leur compte.

Fondation Lee Pace

L’empereur Frère de jour (Lee Pace), implacable dans l’une des séquences les plus fortes de la série 

A ce sujet, le réalisateur David Goyer a eu une idée proprement géniale [Attention Spoiler] : rajouter des clones à l’Empereur, ce qui assure la continuité du charismatique Lee Pace sur toute la série (et sur les saisons suivantes) et permet aussi de sortir l’empereur d’une solitude trop mortifère. Les discussions entre Frère de jour, Frère du soir (Terrence Mann) et Frère du Matin sont parmi les meilleurs moments de ces trois épisodes. Ils sont aussi le prétexte à de savoureux dialogues, à la fois étranges et quasi métaphysiques, sur le pouvoir absolu, la fin de toute chose, et bien évidemment sur le « plan Seldon », qui semble contrarier les projets de l’empereur lui-même. Le clonage n’est d’ailleurs pas la seule incursion de problématiques actuelles dans la série; il y est aussi question des attentats (menés par des sortes de fous de dieu intergalactiques), de la capacité autodestructrice de l’être humain (coucou réchauffement climatique) et globalement de l’hubris du pouvoir, une déviance qui n’est certes pas limitée à notre époque.

Il y a aussi, déjà, certaines moments épiques, alors même que l’oeuvre originale, presque de bout en bout, préfère le style analytique. Ces moments « à la Game of Thrones » ne sont certes pas nombreux, mais ils permettent de rythmer cette progression régulière et lente du récit. La destruction de l’ascenseur spatial vers Trantor, la scène de l’exécution publique (on pense vraiment à la fin tragique de Ned Stark dans GoT) sont autant de séquences qui montrent que la série en a vraiment « sous la pédale » en terme de spectacle pur. Si tout n’est pas parfait en terme de rythme, reste que l’ensemble est déjà passablement « badass ». Au bout de trois épisodes, la série a réussi à poser ses marques tout en densifiant ses multiples arcs narratifs, une étape déjà charnière que David Goyer a franchi avec pas mal de brio au vu de la complexité du projet. L’avion Fondation a donc bien décollé… mais quelle altitude va t-il atteindre désormais ? Il nous tarde déjà de voir la suite.