Il y a 40 ans jour pour jour, le 24 janvier 1984, un Steve Jobs endimanché présentait le Macintosh, une drôle de petite machine presque cubique mais dont l’interface alors totalement novatrice (sur un appareil grand public) allait changer la face de l’informatique personnelle. Avant l’arrivée du Mac pourtant, le micro-ordinateur avait déjà fait son chemin dans les entreprises et le foyers, de l’Apple II (un énorme succès pour Apple) au ZX Spectrum en passant par le Dragon 32, le Commodore 64  ou le Thomson TO7, tous sortis la même année dorée, en 1982. Ces modèles par foison étaient pour certains populaires, mais aucun ne disposait alors d’une interface graphique. La présentation du Macintosh fera passer ces machines hétéroclites pour des dinosaures au point que ces derniers disparaitront du marché l’année même du lancement du Mac ou un an plus tard.

Avant de rentrer dans la légende de l’informatique, le Mac a donc enterré toute une génération d’ordinateurs, un marché bouillonnant mais sans objectif commun, avançant tel un canard sans tête et qui ciblait uniquement ce que l’on appellera plus tard des geeks voire des nerds. Malgré sa bonne bouille, son processeur Motorola 68000 à 8 MHz et ses 128K de RAM, le Mac aura du mal à s’imposer. Proposé à la vente à 2500 dollars, bien moins cher que son concurrent PC sous DOS (plus de 3000 dollars), le Macintosh sera un quasi échec commercial pour Apple. Le terrain défriché sur l’interface graphique et la souris, ce sont les Atari ST et l’Amiga 500 qui sauront le mieux en tirer profit sur le marché grand public. En 1985, le Conseil d’administration d’Apple estimera que Steve Jobs n’était plus l’homme qu’il fallait pour diriger l’entreprise, et le poussera sans ménagement vers la porte de sortie.

Avec le Mac, Steve Jobs croyait avoir apporté au monde une « bicyclette pour l’esprit ». Un an plus tard, éjecté d’Apple, il apprendra surtout à devenir un redoutable chef d’entreprise qui reviendra en vainqueur et fera d’Apple un géant du numérique. 

Malgré son inaccessibilité « for the rest of us », le Macintosh a pourtant fait rêver bien des gamins en quête d’un « ailleurs » numérique. Votre serviteur n’avait que 15 ans lorsque le Macintosh fut présenté en ce mois de janvier 1984, et les bribes d’informations glanées sur les rares magazines spécialisés de l’époque (comme Micro Systèmes) m’avaient déjà convaincu que cette machine ou l’un de ses clones ferait forcément partie de mon quotidien. Le rêve d’un idéal informatique porté par Jobs cette année là n’était pas une entourloupe marketing ; nous étions nombreux à l’époque, aficionados, bidouilleurs et quelques génies de l’informatique au milieu, à croire que le monde se porterait bien mieux avec ces machines. Nous avions tort.

Bercés par des films comme Tron (1982), la tête remplie de références de S.F déjà « cyber », nous étions alors convaincus que le Macintosh, avec sa voix de synthèse et son interface à la souris, annonçait un avenir rutilant, plein de machines-outils fabuleuses qui décupleraient les capacités créatrices de chacun. 40 ans plus tard, c’est la crainte des dystopies qui l’emporte sur tout le reste, la peur des IA et de la VR, l’addiction à TikTok et aux réseaux sociaux, sans oublier un Apple cette fois surdominant et cynique, l’oeil rivé sur sa marge. Si la présentation du Macintosh garde un tel pouvoir nostalgique sur nombre de quinquas actuels, c’est aussi parce que cet ordinateur au look éternel nous rappelle avec un pincement au coeur cette perte de l’innocence, ce deuil d’un monde idéalisé où tout restait à faire. Le Macintosh, c’est la vision lointaine et enchantée d’un monde numérique devenu 40 ans plus tard totalement désenchanté et froid. Et il faut bien faire avec.